Céramique funk

Mention Céramique disruptive - Projet Céramique funk

Il y a une constante qui fait de la céramique contemporaine une sorte d’hybride romanesque, science-fictive, qui illustre son équilibre à travers une antinomie propre. Une sorte de Dr Jekyll et Mr Hyde de l’art du feu qui use du bon et du mauvais goût, qui se réfère à l’art et à l’artisanat, tout en faisant un grand écart, un pied dans une vitrine de musée d’arts décoratifs et l’autre dans les chemises et pistons d’un moteur de fusée. Elle a su satisfaire la mode capricieuse et changeante de la décoration d’intérieur, tout en inventant le concept unique de l’immortalité d’extérieure dans des farandoles de céramiques fleuries pour pierres tombales. Hybride et populaire, elle n’a cessé d’être présente.

Il y a dans la conquête de la modernité sur le passé, l’acte de détruire l’histoire ancienne, puisqu’elle ne serait faite que de traditions. La modernité devient la créativité d’un moment, avant d’être avalée par le déjà-vu. C’est une boucle sans fin.

À l’ÉSAD Pyrénées, dans la pratique de la céramique contemporaine sur le site de Tarbes, il est proposé, en dehors des recherches personnelles des étudiant-e-s, la céramique Funk, comme une branche de la céramique disruptive. Elle n’est pas celle qui, moderne, bouleverse son passé. Elle n’a rien à voir avec la chronologie. Elle est intemporelle, dans une sorte de présent immanent. L’art contemporain prend acte de ce matériau dans sa globalité, avec son hors-champ.

Dans ce programme de recherche, la céramique passe de la tradition du bibelot à la revisitation de la statuaire religieuse sans aucune transition, elle peut être processuelle et abstraite d’un côté, figurative et grotesque de l’autre et passer du chaud au froid sans paliers, dans une cuisson Raku. Elle est un mélange des temps de son passé, et, d’une temporalité à une autre, elle nous intéresse pour une pédagogie du présent : de ses rhizomes pousse toujours quelque chose. Les productions d’étudiant-e-s sont parfois chargées d’emprunts et de citations à son histoire. Mais le rapport au temps est plutôt cinématographique, avec des propriétés d’élasticité, de compression et d’étirement. Sa dureté ne fait pas de la céramique contemporaine un matériau rigide. Que ce soit pour un-e étudiant-e néophyte ou averti-e, il y a, à chaque étapes de réalisation, une histoire de potentialité. La performance en 1995 de l’artiste chinois Ai Weiwei, “Dropping a Han urn” est un symbole, une attitude moderniste envers le passé de la chine. Un cycle sans fin. Dans cette action de briser un vase Han, j’aime le sens pratique de vider les placards d’une histoire tout en ouvrant sur l’immensité d’un potentiel. Ce savoir n’est mesurable que dans sa destruction même. Paradoxe des ruines.

Historiquement, il y a eu de féconds échanges de techniques céramique entre les traditions et les continents, le Japon influençant l’Europe, puis plus tard les Etats Unis, avant d’être influencés à leur tour par l’Occident… Ce caractère “mondialisé” de la céramique est un signe précurseur de l’art contemporain. Mondial comme les échanges, comme l’art, comme les 2 guerres. C’est l’histoire d’un vétéran américain de la seconde guerre mondiale, Peter Voulkos, qui a bénéficié d’une campagne de réinsertion sociale par de la formation tout azimut. Il a choisi la poterie. Et voilà comment un hobby influence l’histoire. En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, il a été recruté en 1954 pour mettre sur pied un programme d’enseignement de la céramique au Los Angeles County Art Institute (aujourd’hui l’Otis College of Art and Design de Los Angeles). Peter Voulkos a changé la destinée de la céramique aux États-Unis, en créant dans les années 60 le mouvement Funk Art, avec une pratique céramique : ceramic funk. Les influences Funk ont imprégné des artistes qui pratiquent notamment la céramique comme Ron Nagle, ou Kenneth Price, et d’autres qui se revendiquent du mouvement comme Robert Arneson ou Clayton Bailey. Leurs travaux bousculent sensiblement le regard sur le “quoi faire avec les paradoxes de la céramique”, à la fois raffinée et vulgaire, qui se déplace de la culture populaire à une mythologie savante, du bas et du haut, du kitch à l’érudition. La ceramic funk est très ironique, subversive, la narration et la figuration y jouent un rôle important. Comme d’autres œuvres Funk, la céramique Funk a relayé le message selon lequel les gens ne devraient pas prendre l’art ou eux-mêmes trop au sérieux. Bien que ce soit dans des contextes très différents, le funk art se reconnaît dans le mouvement Dada. Voici un extrait du manifeste Dada : “Nous ne sommes pas assez naïfs pour croire dans le progrès. Nous ne nous occupons, avec amusement, que de l’aujourd’hui. Nous voulons être des mystiques du détail, des taraudeurs et des clairvoyants, des anti-conceptionnistes et des râleurs littéraires (…)”.

C’est la force du présent. Ne s’occuper que de l’aujourd’hui, avec amusement. Regrouper des énergies, provoquer le faire en céramique, à produire l’acte céramique. Il faut pour cela inventer des rencontres. L’idée de faire venir des artistes en explorateurs de l’atelier, sans projets, comme autant d’autres professionnels de la céramique plus avertis, qui d’un côté ouvrent la céramique au risque de la perdre, et de l’autre la concentrent au risque de la caricaturer.

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