Copies Conformes
Exploration d’un corpus inavouable de copies et d’un musée imaginaire
L’École supérieure d’art et de design des Pyrénées réalise un programme de recherche en partenariat avec le musée Massey de Tarbes sur deux ans, de 2018 à 2020. En effet, le dialogue et les relations étroites entretenues par l’école et le musée ont permis aux artistes et enseignants de l’école de découvrir que le musée avait au fil des années constitué un corpus d’images, et plus précisément de copies. Il s’agit d’un corpus “inavouable mais rêvé” de reproductions très soignées, à petite échelle et réalisées en peinture, qui portent les aspirations et les modèles à la fois vernaculaires et scientifiques d’une certaine idée de notre rapport à l’art et au musée.
Cette découverte d’une collection si singulière dormant depuis plusieurs dizaines d’années à l’ombre des réserves, est le fruit d’une rencontre entre les deux institutions, mais surtout, elle offre la possibilité de re-parcourir une série de questions qui habitent l’histoire de l’art et les pratiques actuelles et dont nous pouvons dégager une première direction essentielle : la relation de l’original et de la copie. Reprenant la réflexion développée par André Malraux, dans Le Musée imaginaire, ce programme de recherche est ainsi l’occasion de reprendre la question du pouvoir de la reproduction et de sa capacité à rejouer et à agir sur la conception même de l’art. Inspiré par le projet de Malraux, ce programme se propose de découvrir “le trésor” que porte cette inavouable et invraisemblable collection de copies.
Ainsi, il s’agit de dégager un objet de recherche et de l’aborder par la spécificité du champ artistique. Dans la veine de l’auteur, il sera ainsi question de créer des confrontations et des rapprochements afin de construire des formes inédites dont l’enjeu essentiel est de poursuivre un dialogue qui permette de penser et de rejouer ce qui fonde l’art par la réalisation d’objets imprévus. Dans Le Musée imaginaire, Malraux souligne tout à la fois le pouvoir de la copie et la nécessité de penser les formes écartées et méprisées ; cette collection du musée Massey de Tarbes s’inscrit dans la catégorie de ces objets qu’il incite à saisir en les arrachant à leur contexte de conditions.
Pour ce faire, ce programme de recherche va concerner tous les médiums et les pratiques engagées aujourd’hui dans une école d’art, en invitant l’école et ses étudiants à travailler autour d’une collection et d’une intention cachée, celle de constituer son propre musée, un musée imaginaire fait de faux chefs-d’œuvres, mais aussi d’éléments hétéroclites, de fragments et de reprises, de non objet comme le dit elle-même Mme Zapata, sa conservatrice, à propos de la partie art et tradition populaire aujourd’hui cantonnée aux réserves.
Ce programme de recherche ouvre aux étudiants et à l’école dans son entier des pistes de travail et de réflexion, nourries du caractère exceptionnel de l’histoire de cette curieuse collection, à l’origine même de cette recherche. S’inscrit alors au cœur de cette démarche les “relations honteuses” de l’art. Le questionnement du “copier c’est créer” ? Tout en réactivant l’ambition historique mais aujourd’hui anachronique à l’origine de la création des musées de Tarbes. Des démarches artistiques comme celle de Bacon reprenant Vélasquez ou plus près de nous, Gasiorowski avec ses croûtes et son Lascaux et le projet Fabiola de Francis Alÿs, ces démarches signalent bien combien la copie innerve les pratiques artistiques et les renouvelle.
Ce projet de recherche ouvre ainsi la voie à un travail où les échos, résonances d’une pratique artistique, d’un travail, d’une image traversent et dépassent une compréhension linéaire du temps, et viennent aussi créer des collapses temporelles et des rencontres qui permettent aux formes artistiques de s’étoffer, de se considérer, et de s’éclairer tout en élargissant le spectre même du champ comme le souhaitait André Malraux. Mais le choix d’évoquer ces artistes et leur lien avec la reproduction ouvre aussi une piste : celle de l’obsession, comment la rencontre avec une image (originale ou copie) ouvre aussi à un travail autour de l’acharnement à voir et à reprendre une image. Si le contemporain est bien celui qui perçoit l’obscurité du présent de son temps, comment ne pas envisager que, par sa présence en creux au cœur de la collection, ce corpus de copies, conservées dans l’ombre des réserves depuis bien des années, n’interroge la dimension intempestive qui relie une école d’art aujourd’hui à un musée des Beaux-arts.
Ce programme de recherche se conçoit en forme d’aller-retour, de navette, entre musée rêvé et musée réel, entre copie et original, entre norme et marge, entre objet et œuvre, bricolage et savoir-faire, technique et trouvaille, sous cet angle il interrogera aussi les questions soulevées par G. DidiHuberman à propos de Duchamp dans La ressemblance par contact ou encore avec Rancière les questions de partage du sensible. Dans cette logique le programme “Copies Conformes” envisage également d’initier un programme d’exposition à partir des “non objets” du musée. Ainsi, il permet de prendre à bras le corps un sujet de recherche qui, sans lui, resterait caché, écarté, oublié, comme cela est le cas depuis de très nombreuses années.